Le 14 juin 2011, le Cameroun a perdu un géant académique – le Professeur Victor Anomah Ngu. Alors que je me joignais à de nombreux Camerounais à l’intérieur comme à l’extérieur de notre pays pour pleurer le passage à l’éternité de ce colosse intellectuel, j’ai ressenti une pointe de tristesse du fait qu’il n’ait pas jugé nécessaire d’écrire l’histoire de sa vie pour la postérité.
En effet, l’un de mes plus grands regrets a toujours été que presque tous nos dirigeants (politiques, religieux, civils ou académiques) quittent ce monde sans laisser derrière eux leur histoire, dans leurs propres mots. Je pense à des personnalités comme le Professeur Bernard Nsokika Fonlon, Pa John Ngu Foncha, Pa Solomon Tandeng Muna, le Dr. EML Endeley, l’Archevêque Paul Verdzekov, et récemment le Cardinal Christian Tumi, entre autres. Ils nous ont tous quittés sans autobiographie. À ma connaissance – et je peux me tromper – seul Pa NN Mbile nous a laissé une histoire de sa vie écrite par lui-même. Dans l’ensemble, nos personnalités politiques, religieuses et laïques d’un certain poids semblent quitter la vie sur la pointe des pieds, laissant derrière elles un vide “littéraire” et politique.
N’aurait-il pas été merveilleux que le Professeur Anomah Ngu écrive l’histoire de sa vie pour nous, surtout lorsqu’il était encore parmi nous, afin que nous puissions lui poser des questions et entendre ses réponses à certaines des choses qu’il aurait pu dire dans un tel livre ? Il a probablement laissé quelque chose derrière lui pour que sa famille le porte à la lumière de l’impression. S’il l’a fait, c’est merveilleux ! Mais le contraire ne me surprendrait pas.
De tels ouvrages ne doivent pas nécessairement être écrits par les auteurs eux-mêmes. Pourquoi ne pas recourir aux services d’un écrivain fantôme de talent ? C’est ce que font de nombreux hommes et femmes remarquables dans la vie publique ou privée dans d’autres parties du monde. Ils se contentent de dicter l’histoire de leur vie à quelqu’un d’autre qui a du talent et qui la met ensuite sous forme de livre pour la consommation publique. Ce n’est pas ce que font les nôtres, malheureusement. Une grande âme, comme le Professeur Anomah Ngu, nous quitte et nous n’avons rien sur lui dans ses propres mots. Quel dommage !
Bien avant que beaucoup d’entre nous n’aient rencontré le Professeur Ngu en personne, la renommée attachée à son nom avait déjà fait son chemin dans nos esprits et dans nos conversations. Quelle figure légendaire il était ! Je me souviens d’une histoire qui a fait le tour du Lycée Fédéral Bilingue de Man O’War Bay lorsque j’y étais étudiant dans les années 60. On disait qu’il pouvait opérer un moustique avec autant de facilité qu’un être humain ! Un type qui connaissait personnellement le professeur – du moins le prétendait-il – a acquis le statut de héros populaire, car il nous émerveillait avec des histoires sur ce que l’homme pouvait faire, et avec quelle facilité il pouvait le faire. À l’écouter, il n’y avait rien que le Professeur Ngu ne pouvait faire. On disait même de lui qu’il était le chirurgien personnel de la Reine d’Angleterre et certains disaient même que la Reine d’Angleterre ne penserait même pas à voyager si le Professeur Victor Anomah Ngu n’était pas là. L’homme nous est donc apparu, non seulement énorme en paroles mais aussi en apparence physique, même si nous ne l’avions pas rencontré en personne.
Lorsque je l’ai rencontré pour la première fois à la résidence du Docteur Fonlon à Yaoundè dans les années 70, j’étais en admiration devant lui. Je me souviens d’être assis à une distance respectueuse de lui, étonné comme je l’étais vraiment par la présence de cet homme discret de taille moyenne – qu’est-il arrivé à la figure géante que notre ami avait dessinée pour nous ? Pouvait-il vraiment s’agir du Professeur Anomah Ngu, qui avait l’air si simple et qui plaisantait si facilement avec le Docteur Fonlon ? Ce n’était certainement pas l’homme dont j’avais l’image dans ma tête grâce aux histoires de notre ami à l’école secondaire !
Je me souviens que le Docteur Fonlon m’avait présenté à lui comme l’un de ses étudiants. Je ne me souviens pas exactement de ce que le Professeur Ngu m’a dit, surpris que j’étais de me trouver en présence d’un homme dont la renommée était si grande dans le monde séculier, universitaire et religieux – c’était un catholique fervent, croyant et pratiquant. Le Dr. Fonlon, pour sa part, se vantait ouvertement que sans lui et son amitié avec le Professeur Ngu, ce dernier n’aurait jamais abandonné ce qui était une carrière prometteuse à l’étranger pour revenir au Centre Universitaire des Sciences de la Santé (CUSS) où son salaire n’était rien comparé à ce qu’il gagnait avant son arrivée au Cameroun.
C’était la première et la dernière fois que j’ai rencontré le Professeur Victor Anomah Ngu en personne, mais j’ai suivi sa carrière de ministre et de professeur d’université avec beaucoup d’intérêt. Chaque fois qu’il était dans la presse – écrite ou audiovisuelle – je prêtais toujours une attention particulière à ce qu’il avait à dire. Grâce à mes contacts avec certains jeunes médecins, dont beaucoup avaient été ses étudiants à Yaoundé lorsqu’il y enseignait, j’ai pu avoir un léger aperçu de ses travaux de recherche sur la pandémie de SIDA, même si certains d’entre eux s’interrogeaient sérieusement sur la validité de ses affirmations selon lesquelles son invention pouvait guérir les gens du SIDA.
Bien qu’il était déjà évident qu’il était sur le point du départ – je l’ai vu aux funérailles de l’Archevêque émérite de Bamenda, Monseigneur Paul Verdzekov, en février 2010, dans un fauteuil roulant – son passage à l’éternité laisse définitivement un vide parmi nous. Que sa famille trouve ici mes plus sincères condoléances.