La Fondation allemande, Friedrich Erbert Stiftung a organisé une rencontre des journalistes et de la société civile à Ebolowa du 6 au 8, aouˆt 2011. Il s’agissait d’analyser la situation de la presse au Cameroun. C’était la deuxième rencontre du genre organisée au Cameroun. La première ayant eu lieu à Bamenda en 2008. En marge des discussions officielles, L’Effort camerounais a rencontré une dame dynamique, venant de l’Extrême Nord, de Maroua plus précisément. Elle était la représentante d’une association dénommée “Association pour la lutte contre la violence faite aux femmes”. Mme Aissa Doumara, puisqu’il s’agit d’elle, n’a pas mâché ses mots, qualifiant les violences contre les femmes comme étant des actes odieux et lâches. Tout en admettant que la violence contre les femmes n’est pas l’exclusivité d’une seule région de notre triangle national, elle a focalisé son attention sur la région septentrionale de notre pays dont elle est originaire.
Pourquoi une association contre la violence faite aux femmes? Y a-t-il beaucoup de violences contre les femmes au Nord?
Malheureusement, partout dans notre pays, la femme est victime des violences de tous genres de la part des hommes ou de la société à prédominance masculine. Donc, la violence contre la femme ne saurait être confinée dans une partie unique du pays. Mais, il faut quand même souligner que l’intensité des violences peut varier selon les régions. Par exemple, dans le septentrion, il y a des facteurs traditionnels, sociaux et religieux qui ne favorisent pas souvent les femmes.
Est-ce pour lutter contre ces facteurs que vous avez créé votre association?
Je ne suis pas la fondatrice de cette association. Elle a été fondée à Yaoundé, et c’est là-bas que se trouve le siège social. Cette association a été créée par sept dames dont l’une d’elles, Mme Bisseke, a été affectée à Maroua. J’ai fait sa rencontre, et elle m’a convaincue de les rejoindre, et de mettre sur pied une antenne à Maroua. Vous me demandez s’il y a beaucoup de violences contre les femmes au Nord. A cette question, je précise que la réponse est relative. Mais il existe des structures traditionnelles qui, comme partout ailleurs, ne sont pas nécessairement favorables aux femmes. Il y a des structures traditionnelles, religieuses et sociales, qui oeuvrent même pour que les violences contre les femmes perdurent, surtout dans le nord de notre pays.
Quel regard la société traditionnelle et religieuse de l’Extrême Nord pose-t- elle sur votre association ?
Au départ, il faut admettre qu’il y a eu beaucoup d’incompréhensions et des doutes autour de nos activités. Mais le problème majeur venait de notre part. Nous n’avions pas eu une bonne stratégie d’intervention au départ, car nous avions abordé la situation en termes de confrontation et de dénonciation. Evidemment, cela n’a pas bien fonctionné. Nous avons dû rebrousser chemin pour changer notre stratégie, en mettant plutôt l’accent sur la conscientisation, la formation, et la sensibilisation. Cette approche a donné de bons résultats, et à présent, notre action est très appréciée. Aujourd’hui, nous avons comme alliés, les autorités traditionnelles, administratives, et même religieuses. Les femmes qui, au départ nous regardaient sans rien comprendre, sont maintenant bien conscientes des effets néfastes des violences faites à leurs filles et à elles mêmes. Les choses sont en train d’évoluer progressivement, si bien qu’au niveau local et régional, les gens commencent déjà à comprendre et à apprécier notre démarche contre les violences faites aux femmes.
Quand on parle des violences faites aux femmes, de quelles violences s’agit-il exactement?
La définition qu’on en donne nous dit que la violence est un acte, un geste, une parole qui est adressée à une personne, généralement par un homme à l’endroit d’une femme, dans le seul but de lui faire exécuter une tâche dont l’homme est le seul bénéficiaire. Il exerce son pouvoir et son autorité pour contraindre la femme à faire ce qu’elle ne veut pas faire. En un mot, la violence faite à une femme est un abus d’autorité.
Depuis que votre association s’est engagée dans ce combat, quels résultats avez-vous déjà obtenus ?
La situation s’est nettement améliorée. Avant, on n’en parlait pas du tout. C’était presqu’un sujet tabou. A présent, on en parle de plus en plus ouvertement. Et même lorsque les femmes se réunissent dans leurs associations, elles parlent de plus en plus des mariages forcés ou précoces, ce qui ne se faisait pas du tout avant. Les mariages précoces et forcés sont très récurrents dans notre milieu, et sont dûs aux facteurs traditionnels, sociaux et religieux. Il y aussi la peur des parents, et la peur des grossesses hors mariage, qui est considérée comme un déshonneur pour la famille. La pauvreté joue aussi un rôle négatif dans ce type de mariage, et cela fait que les filles se déscolarisent très vite, et cela les empêche de s’épanouir en tant que femme. Plus tard, elles ne pourront pas participer à la gestion de leur avenir ou de leur pays.
Y a-t-il d’autres formes de violences qui vous interpellent ?
Je disais plus haut qu’il y a les violences culturelles, religieuses et sociales qui sont plus visibles. Mais, il y aussi les violences domestiques qui sont plus cachées et discrètes, parce que les femmes préfèrent ne pas en parler. Elles décident souvent de venir se plaindre dans nos centres, quand elles n’en peuvent plus. Nous avons des centres qui accueillent les femmes violentées dans leurs foyers. Souvent elles arrivent sous le prétexte que leur partenaire n’assure pas la ration. Mais, c’est quand on les interroge d’avantage qu’elles cèdent et commencent à nous raconter leur vrai problème. C’est ainsi que nous découvrons que beaucoup de femmes sont victimes des violences domestiques.
Les hommes perçoivent-ils vos centres comme une menace contre leur autorité ?
J’ai l’impression qu’ils perçoivent notre action comme une menace à leurs foyers. Mais, je dois ajouter que c’était beaucoup plus vers les premières années du fonctionnement de notre association. Nous avons commencé nos activités dans l’Extrême Nord en 1996. Mais de plus en plus, notre centre est fréquenté aussi bien par les hommes que par les femmes. Je crois que c’est dû au fait que nous avons entrepris une bonne mission de sensibilisation pour faire comprendre aux femmes, et surtout aux hommes, que violenter une femme n’est pas une bonne chose. Que la violence faite aux femmes est une violence contre leur propre mère, leur propre enfant, ou leur tante. Dans cet angle, les hommes arrivent à comprendre et arrivent à apprécier notre démarche. Ils se sentent alors moins menacés, et prêts à coopérer avec nous. Mais, il faut dire qu’il existe toujours des non-conformistes qui ne sont pas du tout d’accord avec notre message.
Est-ce que ces non-conformistes vous menacent, par exemple, en vous accusant de vouloir détourner leurs femmes?
C’est peut-être plus souvent de la part des politiques que viennent de telles menaces. Les politiques pensent que lorsque les femmes auront acquis cette assurance de confiance, elles pourront se constituer en adversaires politiques redoutables. Comme partout ailleurs, le champ politique est encore largement dominé par les hommes, qui ne voient souvent pas d’un bon oeil, la présence des femmes dans ce qu’ils considèrent comme leur chasse gardée.
On parle aussi des mutilations génitales féminines dans la Région du Nord. Que faites–vous pour combattre cette autre forme de violence?
Malheureusement, les mutilations génitales féminines sont encore largement pratiquées dans beaucoup de localités, surtout dans la région de Kousseri, où certaines ethnies la pratiquent. C’est dommage que de nos jours, de telles choses puissent encore exister. Notre association fait appel aux autorités administratives pour qu’elles fassent beaucoup plus d’efforts pour nous aider à combattre cette pratique humiliante pour la femme. Nous pensons qu’il faut une loi contre cette pratique, parce qu’au Cameroun, bien qu’on en parle de temps en temps, il n’existe pas de loi qui réprime cette pratique.