Pourquoi séparer les bergers de leur troupeau ?

Une pratique courante semble avoir pris racine dans les paroisses catholiques au Cameroun. Lors des fêtes paroissiales, par exemple, il arrive assez souvent que le clergé et quelques laïcs membres du conseil paroissial s’assoient à une table distincte appelée “table d’honneur”.  Cette table est généralement placée sur une estrade à l’écart des autres paroissiens. Les prêtres, religieux et religieuses invités prennent également place autour de la table d’honneur sur laquelle sont disposés les vins les plus fins et les viandes les plus juteuses.

Cette pratique qui consiste à séparer les pasteurs de leurs ouailles m’a toujours déconcerté.  Il me revient toujours à l’esprit ces paroles du psalmiste: “Tu as préparé une table à mes yeux, en face de ceux qui me troublent” (Ps 23,5). Les laïcs fidèles du Christ sont-ils devenus les fauteurs de troubles dont parlait le Psalmiste? Je me le demande.  Je ne serais point surpris que le Pape François lui-même trouve un tel arrangement embarrassant ; lui qui dit qu’un vrai berger doit être celui qui porte sur lui l’odeur des brebis. Si nos pasteurs sont obligés de s’asseoir loin de nous, leur troupeau, comment l’odeur du troupeau pourrait-elle déteindre sur eux ?

Je me souviens avoir posé cette question lors d’une réunion du conseil paroissial. Mais, ce sont les laïcs membres du conseil eux-mêmes qui s’étaient vivement opposés à la suggestion de faire asseoir le clergé parmi les laïcs lors des fêtes paroissiales. La question avait resurgit quelques jours auparavant lorsque nous célébrions notre fête paroissiale en l’honneur de notre saint patron. Comme d’habitude, des invitations avaient été envoyées à d’autres paroisses pour que leurs prêtres se joignent à nous.  Un jeune prêtre, qui avait à peine cinq ans de sacerdoce, est venu d’une paroisse sœur avec son curé. Lorsqu’il m’a vu installé avec quelques paroissiens autour d’une table, il s’est arrêté pour nous saluer. Il s’est aussitôt assis car il avait hâte de discuter d’un point que j’avais soulevé dans un article paru dans l’édition hebdomadaire du journal diocésain. J’ai apprécié ce qu’il a dit à propos de mon article car il ne s’est pas contenté de me jeter des fleurs mais il a également émis de fortes objections à certaines opinions que j’avais exprimées. C’était un plaisir de discuter avec lui.

Alors que nous parlions, deux femmes sont venues l’inviter à prendre place parmi le clergé déjà assis à la table d’honneur installée sur une plate-forme surélevée. Le jeune prêtre s’y est opposé et a dit qu’il préférait s’asseoir avec nous. Les femmes ont insisté qu’il les suit car sa place était parmi le clergé. Lorsqu’il a dit qu’il était heureux là où il était, elles se sont éloignées à contrecœur. Peu de temps après, deux autres femmes sont arrivées avec la même demande pressante. “Le père doit aller là où sont les autres pères”, tel était l’ultimatum. Une fois encore, le jeune prêtre résista. Les femmes sont parties et peu après, deux hommes, membres du conseil paroissial, sont venus déloger le jeune prêtre de notre table. Ils semblaient venir tous, deux par deux, rappelant ainsi les disciples du Christ qu’il avait envoyés en pairs pour exhorter l’humanité déchue à se repentir car le royaume des cieux était proche.

Finalement, le jeune prêtre est parti à contrecœur et a rejoint ses confrères à la table d’honneur. Quelques temps après, cinq religieuses sont arrivées et comme il n’y avait plus de place à la table d’honneur, elles ont été dirigées vers une autre table éloignée de la nôtre. Il s’agissait des religieuses d’une congrégation qui vivent ensemble et qui étaient à nouveau obligées de s’asseoir ensemble. J’ai dit à mes compagnons de table que je trouvais étrange que tous les prêtres, les religieux et religieuses, soient si distants de nous, les laïcs. N’était-ce pas pour elles l’occasion pour ces religieuses de s’asseoir parmi les paroissiens, de rencontrer et de parler avec d’autres personnes au lieu de rester entre elles comme si elles étaient encore dans leur couvent ?

Nous étions tous d’accord pour dire qu’en de telles occasions, il serait nettement mieux de disperser le clergé parmi les paroissiens afin que “l’odeur des brebis”, pour paraphraser le Pape François, puisse déteindre sur ces pasteurs.  Et si un jeune homme ou une jeune femme pensait entendre un appel au sacerdoce ou à la fraternité et se demandait si cette voix venait vraiment de Dieu ?  Au cours d’une telle rencontre, il ou elle pourrait trouver une occasion providentielle d’entamer une conversation avec un prêtre ou une religieuse qui pourrait éventuellement l’éclairer sur la question de savoir si cet appel vient véritablement de Dieu. Le Seigneur n’appelle-t-il pas des ouvriers à sa vigne dans des endroits étranges ? N’a-t-il pas arraché des pêcheurs de leurs filets pour en faire des pêcheurs d’hommes ? N’a-t-il pas délogé un collecteur d’impôts, méprisé à l’époque comme encore aujourd’hui, de ses livres de comptes du bureau des impôts pour en faire un apôtre ? La moisson est abondante mais les ouvriers sont peu nombreux. Et savoir où le Seigneur, dans son impondérable sagesse, mettra le doigt sur un élu, demeure un mystère.

Martin Jumbam, July 20, 2021

 

 

Leave a reply:

Your email address will not be published.

Site Footer