Hommage à l’écrivain congolais Tchicaya U’tamsi

 

(Paru pour la première fois au Cameroon Tribune, version anglaise, le 9 septembre 1988. Traduit en français par l’auteur).

En tant qu’étudiant de littérature comparée, j’ai toujours cherché à rencontrer des écrivains littéraires, en particulier, africains. Chaque fois que j’assiste à une conférence littéraire, j’écoute attentivement ces conteurs, je saisis chaque mot qui tombe de leurs lèvres, je le tourne et le retourne dans ma main, je l’étale comme un aigle sur le papier, je le dissèque et l’analyse avec soin, j’essaie de caresser les plis cachés du génie créatif de chaque écrivain.

C’est précisément ce qui s’est passé lorsque, il y a plusieurs années déjà, je rencontrai pour la première fois l’un des écrivains les plus prolifiques d’Afrique; il s’agit du grand poète, dramaturge et romancier congolais, Tchicaya U’Tamsi, de heureuse mémoire.

Je ne lui rends pas ici un hommage traditionnel dans lequel on s’attendrait à lire une brève analyse de sa vie et de son œuvre, mais c’est plutôt un souvenir de deux rencontres que j’ai eues avec lui.

La première a eu lieu à une période d’effervescence littéraire particulièrement intense en Afrique, où les partisans et les adversaires de concepts, tels que la “Négritude”, la “Personnalité africaine”, le “métissage culturel”, parmi tant d’autres, s’affrontaient quotidiennement dans les arènes littéraires.

Wole Soyinka, alors considéré par beaucoup comme “l’enfant terrible”  de la littérature africaine et qui, quelques décennies plus tard, allait apporter tant d’honneur aux lettres africaines en devenant le premier Africain et Noir à recevoir le très convoité prix Nobel de littérature, a encore brouillé les eaux déjà troubles de la source littéraire africaine avec une autre expression problématique : “Tigritude”.

C’est pendant cette période de confusion sur la scène littéraire africaine que j’ai rencontré Tchicaya U’Tamsi en personne pour la première fois à la Sorbonne à Paris. Ce jour-là, un groupe de critiques très peu sympathiques l’assaillait impitoyablement pour avoir écrit une poésie qu’ils qualifiaient d'”hermétique”.

Je me souviens en particulier de l’un d’eux, un jeune homme au franc-parler, d’origine Béninoise, un pays qui était alors l’un des foyers du marxisme-léninisme dur en Afrique, où l’on disait que les voisins se saluaient en se promettant d’écraser la “mauvaise tête de l’impérialisme” ou de périr en tentant de le faire.  Notre marxiste-léniniste s’exprimait haut et fort, frappant l’air du coup de poing, rejetant l’énorme production littéraire de Tchicaya comme une pure “absurdité bourgeoise”.  Scandalisés par ces propos plutôt insultants, certains d’entre nous se sont ralliés à Tchicaya et notre fougueux révolutionnaire nous a claqué la porte au nez et nous l’entendions dans le couloir nous dénoncer tous comme les “lèches cul de l’impérialisme yanqui”.

Ce qui m’a frappé en regardant cette confrontation, c’est l’admirable maîtrise de soi de Tchicaya. Il appelait à la tolérance envers les opinions d’autrui même si on les partageait pas. Il défendait fermement la liberté artistique, niait que son œuvre était hermétique, et invitait ses critiques à pénétrer sa création littéraire par les portes de l’histoire de la race noire ; un conseil que je devais trouver fort utile plus tard.

Nos chemins se sont encore croisés cinq ou six ans plus tard, toujours lors d’une autre conférence littéraire à Paris. Je me souviens être entré dans un amphithéâtre rempli d’étudiants en littérature africaine, comme moi, venus voir et écouter des écrivains africains de renommée internationale affronter des critiques aux références étincelantes. Quand ces derniers se rencontrent, il y a toujours des éclairs dans l’air.

À la table d’honneur, occupant sa place légitime parmi ces poids lourds de la littérature africaine, se trouvait Tchicaya U’Tamsi. Nos regards se sont croisés et, à mi-chemin entre la position debout et la position assise, je me suis incliné devant ce fidèle fils de l’Afrique. J’ai vu ses yeux s’illuminer de surprise pendant quelques secondes, puis lui aussi a légèrement incliné la tête.

Lorsqu’est venu son tour de parler, et comme il l’avait fait plusieurs années auparavant, il a à nouveau défendu avec force la liberté artistique et rejeté la rigidité de certaines idéologies qui étouffaient – et étouffent malheureusement encore – la créativité artistique en Afrique. Il a ensuite conclu en exprimant l’espoir que de l’agitation et de la décadence du présent, une Afrique nouvelle et meilleure finirait par émerger.

C’était il y a bien plus d’une décennie déjà. Mais, lorsque la nouvelle de sa mort est tombée sur mon assiette de petit-déjeuner, je l’ai prise avec surprise et consternation. Puis j’ai levé les yeux et j’ai cru voir son visage se profiler au coin de la table où mes deux enfants prenaient leur petit-déjeuner bruyant habituel. Je me suis levé et j’ai salué l’un des esprits les plus fertiles que la race noire ait produit jusqu’à présent. Il y avait quelque chose comme un sourire sur son visage au moment où les voix angéliques de ses Muses ancestrales l’escortaient dans les profondeurs de l’éternité.

Je salue sa mémoire.

Martin Jumbam

 

 

 

 

 

2 comments On Hommage à l’écrivain congolais Tchicaya U’tamsi

  • This is a great tribute, big bro!! My critical endeavour has been focused for close to a decade on the works of Sony Labou Tansi, another “enfant terrible” of African (I dare say world literature) , who admired Tchicaya so much that he fashioned his pseudonym to sound like that of his mentor, “la petite feuille qui chante son terroir.”

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