“Ne rabaisse jamais un employé devant les autres”, me disait Christian Cardinal Tumi.

Christian Cardinal Tumi, l’Archevêque émérite de Douala au Cameroun, est décédé le 04 avril 2021 à l’âge avancé de 91 ans. C’était une personne avec qui j’avais travaillé étroitement pendant un bon nombre d’années. J’ai été, pendant quatre ans, le directeur général de la maison diocésaine des médias, communément appelée par son acronyme français MACACOS (Maison Catholique de la Communication Sociale) et qui, à l’époque, comprenait une imprimerie et plus tard une station de radio.

Je me souviens l’avoir informé, au cours d’une conversation informelle, que j’étais enthousiasmé par une offre de départ avantageuse que mon employeur américain, pour lequel j’avais travaillé pendant plus de 20 ans, proposait aux employés qui souhaitaient prendre une retraite anticipée. J’avais toujours eu l’intention de ne travailler pour personne d’autre avant d’atteindre la cinquantaine, et le chiffre de cinq et zéro était déjà à portée de la main. Le paquet de départ en question est tombé sur mes genoux juste à temps et j’étais heureux de le saisir et de partir. J’ai partagé la bonne nouvelle avec le Cardinal Tumi qui, après m’avoir écouté, m’a soudainement dit qu’il avait une autre offre d’emploi pour moi. Pourrais-je reprendre la direction de MACACOS, qui était alors entre les mains d’un Français ?

“Je ne crois pas”, a-t-il poursuivi, “que nous devrions laisser des Français continuer à gérer nos entreprises pour nous, du moins pas dans l’Église. C’est pourquoi je veux que tu la prennes en main.”  Quand il a vu à quel point j’étais décontenancé par sa proposition, il a ri, puis a désigné la porte ouverte de la Cathédrale, à quelques mètres de là. “Entre là-dedans et demande au “propriétaire” du lieu ce qu’il pense de ma proposition. Après cela, rentre chez toi pour y réfléchir, discute avec ton épouse, et apporte-moi une réponse quand tu seras prêt.”

Bien que j’aie suivi son conseil de passer un moment devant le Saint Sacrement dans l’espoir que le Seigneur me dise quoi faire, je n’ai rien entendu. Cependant, après être resté assis en silence pendant un bon bout de temps, la consternation initiale que j’avais ressentie lorsque la proposition m’a été faite a commencé à céder place à une forme d’acceptation calme de l’inévitable. La réaction étonnamment calme de mon épouse, lorsque je lui ai parlé de l’offre du Cardinal Tumi, m’a également rassuré.  Tout ce qu’elle a demandé, c’est “Comment peux-tu dire NON à ton évêque ?”  Était-ce là la voix que j’avais écoutée en vain devant le Saint-Sacrement qui me parvenait par l’intermédiaire de mon épouse ? C’est fort possible.

Le lendemain, je suis allé voir le Cardinal pour lui dire que j’acceptais son offre. “Il y a cependant une condition,” lui dis-je. “Je n’ai pas l’intention de consacrer plus d’un an à ce travail, car j’ai d’autres projets que j’ai mis en veilleuse depuis trop longtemps. Je suis impatient de m’y atteler.” À sa manière caractéristique, et avec le sourire contagieux qui ne semblait jamais quitter son visage, il s’est contenté de poser sa main sur ma tête, de dire une brève prière et de me donner sa bénédiction.

“Je n’ai aucun doute que tu y parviendras. J’ai confiance en toi. J’ai vu ton travail dans le journal, j’ai lu tes articles. Tu es la personne qu’il faut pour ce travail !”  Je me suis senti vraiment humble par ses paroles, qui ont renforcé ma confiance en moi, et subitement ce qui m’avait semblé si effrayant un jour auparavant, semblait soudain réalisable.  Quelques jours plus tard, il m’a présenté au  français qui dirigeait l’entreprise. Même si je savais qui il était parce que je venais régulièrement au journal pour déposer des articles ou pour nos réunions de rédaction, je ne lui avais jamais parlé auparavant. Il a loué la décision du Cardinal de choisir une personne qui n’était pas étrangère à la maison. Lui et moi avons alors commencé à nous rencontrer régulièrement pour discuter des notes qu’il m’avait remises.

Avant que je ne reprenne le siège de directeur, le Cardinal m’a donné un autre conseil ferme : “Ne réprimande jamais un employé devant les autres employés, quelle que soit la gravité de son erreur. Appelle le dans ton bureau, ferme la porte derrière toi et dis-lui ce que tu penses. Mais, une fois sortis de ton bureau, ne laisse jamais personne d’autre que cet employé savoir ce qui s’est passé derrière cette porte fermée. Garde toujours un sourire sur ton visage. Ne viole jamais la dignité de l’employé. Cependant, si tu vois un employé faire quelque chose de louable, félicite-le ouvertement. Fais savoir aux autres que tu apprécies l’action de cet employé. Veille toujours à surprendre les gens qui font ce qu’il faut et félicite-les ouvertement.” C’est un conseil que j’ai saisi à deux mains et que je n’ai jamais lâché jusqu’à ce jour.

Au lieu d’une année que j’avais prévue passer à la tête de MACACOS, j’ai fini par y passer quatre ans, jusqu’à ce que le nouvel Archevêque arrive et que je passe le relais à quelqu’un de son choix. L’injonction du Cardinal Tumi résonne encore aujourd’hui dans mes oreilles. C’est pourquoi, chaque fois que j’entends des personnes en autorité insulter leurs subordonnés devant les autres, une pratique assez courante dans les milieux civils et religieux au Cameroun, je suis toujours saisi d’horreur. Dans de tels instants, j’entends toujours la voix du Cardinal Christian Tumi résonner dans mes oreilles : “Ne rabaisse jamais un employé devant les autres, quelle que soit la gravité de la faute commise”.

Repose en paix, Christian Cardinal Tumi, Prêtre, Evêque, Archevêque et Cardinal de l’Église de Rome.

Martin Jumbam, 25 juillet 2021

 

 

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