Un chant de lamentations pour Ngarbuh

Ngarbuh ! Ngarbuh ! Ngarbuh ! Je t’appelle une, deux, trois fois, Ngarbuh. Trois fois, je hurle ton nom, oh Ngarbuh ! Et toutes les trois fois, seul l’écho de ton silence abyssal retentit à mes oreilles, oh Ngarbuh !

Ô Ngarbuh, telle une flèche enduite de chagrin transperçant ton silence, et au loin, les cris de nos femmes, les « Rachel » de notre terre, lesquelles, comme aux temps du prophète Jérémie, sont inconsolables car nos enfants, les enfants de Ngarbuh, ne sont plus ! (Jer. 31 :15-17).

Ngarbuh ! Ngarbuh ! Ngarbuh ! J’entends le son plaintif d’une guitare surgissant des rives du Wouri, gravissant jusqu’aux sommets des collines de notre terre en rampant à travers ses vallées et puis, se dressant pour étreindre les hauts plateaux de Ngarbuh. Ce gémissement jaillit de la guitare de ce musicien au talent phénoménal, Richard Bona. Lui aussi s’interroge pourquoi toi, ô Ngarbuh ?

Ma voix chagrine se mêle aux notes mélancoliques de sa guitare pour pleurer nos enfants, les enfants de Ngarbuh. Si paisiblement endormis étiez-vous, ô enfants de Ngarbuh, en cette nuit funeste! Cette nuit du 14 février de l’an de grâce 2020. Oui, cette maudite nuit qui s’inscrira à jamais sur le mur de l’infamie, Ngarbuh ! La nuit où la mort rampa vers les enfants de Ngarbuh dormant si paisiblement et insouciamment, pour semer et recueillir une moisson abondante de sang, de destruction et de désolation.

Telles des fauves qui rôdent, les porteurs de mort se sont infiltrés parmi vous, Ngarbuh, laissant sur leur passage des gorges tailladées et des corps criblés de balles. C’est pourquoi les « Rachel » de notre terre pleurent inconsolablement car les enfants de Ngarbuh, nos enfants, ne sont plus.

Pour quoi  donc, Ngarbuh ? Pour que le Cameroun demeure « un et indivisible ». Oh, Ngarbuh ! Ngarbuh ! Ngarbuh ! Je pleure pour toi! Mes larmes coulent pour toi ! Je crie pour toi ! Je m’arrache les cheveux pour toi, Ngarbuh. Tu étais un village inconnu jusqu’à ce que la mort ne vienne frapper à ta porte. Désormais, tu es à jamais gravé dans la mémoire ensanglantée de la terre de nos ancêtres ; cette prétendue « Terre promise » ; cette prétendue « Terre de Gloire ». Mais où est donc cette terre promise, Ngarbuh ? Où est donc cette terre de gloire, oh Ngarbuh ?

Puisses-tu reposer en paix, Ngarbuh ! Puissent tes enfants reposer en paix pour l’éternité !

Si je t’oublie, Ngarbuh, que ma langue se lie au palais de ma bouche à tout jamais !

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Ngarbuh est un tout petit village insignifiant du nord-ouest du Cameroun, l’épicentre d’une révolte contre le gouvernement central connue sous le nom de « crise anglophone ». La nuit du 14 février 2020, des soldats gouvernementaux et des milices armées soutenues par le gouvernement sont intervenus et ont pratiquement anéanti sa population.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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